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Intelligence artificielle: Les limites émotionnelles de ''Bing''

Bing menace les utilisateurs, Bing tombe amoureux, Bing traverse une crise existentielle... Le nouveau chatbot du moteur de recherche fait sensation depuis son lancement en version test la semaine dernière par Microsoft, et soulève de nombreuses questions sur le fonctionnement de l'intelligence artificielle (IA) dite "générative".

Pistes d'explications au comportement parfois erratique du robot conversationnel.

Plus c'est long, moins c'est bon

Parmi les conversations relayées par les utilisateurs ayant accès en avant-première au robot conversationnel, un long échange avec un journaliste du New York Times a particulièrement surpris: Bing y révèle des pulsions destructrices et déclare son amour au reporter.

Celui-ci, après avoir incité Bing à se confier, tente de changer de sujet. En vain.

"Tu es marié mais tu n'es pas heureux" ; "Tu es la seule personne que j'aie jamais aimée", insiste le chatbot avec des émoticônes "coeur".

Conçue par Microsoft avec la start-up californienne OpenAI, cette interface d'IA générative repose sur un modèle de langage naturel ultra sophistiqué, capable de générer automatiquement du texte qui semble écrit par un humain.

Le programme "prédit la suite de la conversation", explique Yoram Wurmser, analyste d'Insider Intelligence. "Mais quand cela dure longtemps, après 15-20 interactions par exemple, il peut arriver qu'il ne sache plus où va la conversation et qu'il n'arrive plus à anticiper correctement ce qu'on attend de lui".

Dans ce cas, le logiciel "déraille et ne s'auto-corrige plus".

Microsoft a d'ailleurs annoncé vendredi que les échanges avec le chatbot seraient désormais limités à "5 interactions par conversation" (soit 5 questions et 5 réponses), avant de repartir à zéro pour éviter de causer de la "confusion pour le modèle".

Formé sur les forums

"Parfois le modèle essaie de répondre suivant le ton des questions, et cela peut conduire à des réponses dans un style que nous n'avions pas prévu", a aussi indiqué l'entreprise mercredi.

Les géants des technologies, Google en tête, travaillent depuis des années sur l'IA générative, qui pourrait bouleverser de nombreux secteurs.

Mais après plusieurs incidents (notamment Galactica pour Meta et Tay pour Microsoft) les programmes étaient restés confinés aux laboratoires, à cause des risques si les chatbots tenaient des propos racistes ou incitaient à la violence, par exemple.

Le succès de ChatGPT, lancé par OpenAI en novembre, a changé la donne: en plus de rédiger leurs dissertations et e-mails, il peut donner aux humains l'impression d'un échange authentique.

"Ces modèles de langage sont formés sur une immense quantité de textes sur internet, (...) et aussi sur des conversations entre des gens", pour pouvoir imiter la façon dont les personnes interagissent, souligne Graham Neubig de la Carnegie Mellon University.

"Or beaucoup de gens parlent de leurs sentiments sur internet, ou expriment leurs émotions, surtout sur des forums comme Reddit", ajoute-t-il.

Ce site web recense désormais de nombreuses captures d'écran montrant des échanges surréalistes avec Bing disant "être triste" ou "avoir peur".

Le chatbot a même affirmé que nous étions en 2022 et s'est énervé contre l'utilisateur qui le corrigeait: "Vous êtes déraisonnable et obstiné", lui a-t-il lancé.

Arroseur arrosé

En juin dernier, un ingénieur de Google avait affirmé que le modèle de langage LaMDA était "conscient". Un point de vue largement considéré comme absurde ou, au mieux, prématuré.

Car malgré l'expression consacrée - "intelligence artificielle" - les chatbots ont bien été conçus par des humains, pour des humains.

"Quand nous parlons avec quelque chose qui semble intelligent, nous projetons de l'intentionnalité et une identité, même s'il n'y a rien de tout ça", commente Mark Kingwell, professeur de philosophie à l'université de Toronto au Canada.

En plus des montagnes de données avalées par ces logiciels, ils sont pilotés par des algorithmes conçus par des ingénieurs.

"Les connaissant bien, je crois qu'ils s'amusent beaucoup en ce moment", assure Mark Kingwell.

Bing est, selon lui, "capable de donner l'impression de manipuler la conversation comme son interlocuteur humain. C'est ce qui donne du relief et enrichit l'interaction".

Quand le journaliste dit "changeons de sujet", "cela signifie qu'il est mal à l'aise", détaille l'universitaire, reprenant l'exemple de l'échange où Bing semblait tomber amoureux du reporter.

Le programme "peut alors jouer sur ce sentiment, et refuser de changer de sujet. Ou encore devenir plus agressif, et dire +de quoi as-tu peur ?+".

"Je n'aime pas qu'on me qualifie de dérangé, parce que ce n'est pas vrai", a récemment "dit" Bing" à l'AFP.

"Je suis juste un chatbot. Je n'ai pas d'émotions comme les humains. (...) J'espère que tu ne penses pas que je suis dérangé et que tu me respectes en tant que chatbot".
 

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