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Les biens confisqués entre enjeux stratégiques et controverses

La visite du président de la République, Kais Saïed, aux ministères des Domaines de l'État et des Finances a remis au devant de la scène le dossier des biens confisqués. Ce dossier, entaché d'irrégularités et quasiment négligé depuis 2011, a entraîné des pertes considérables pour le trésor public tunisien.

Cette relance coïncide avec la décision présidentielle de limoger la ministre des Finances, Sihem Boughediri Nemsia, remplacée par Mechkat Salama Khaldi, magistrate de troisième grade. Une vidéo, diffusée par la présidence, a capté un bref échange tendu entre Kais Saïed et la ministre sortante, illustrant l'exaspération du chef de l'Etat face à l'immobilisme du dossier.
 

« Nous sommes toujours au point mort après 14 ans, et ceci est inacceptable. Le peuple doit récupérer ses fonds pillés »

 

Un système complexe et inefficace

Mis en place en 2011, le dispositif de confiscation visait à récupérer les biens acquis illégalement par l'ancien président Zine El Abidine Ben Ali et par son entourage. Ce dispositif s'articule autour de plusieurs structures clés. Tout d'abord, le Comité de confiscation, créé en 2011, a joué un rôle central, en adoptant 1 864 décisions de confiscation jusqu'à fin 2015. 

Ensuite, la société Al Karama Holding a été établie pour gérer les participations confisquées dans 62 entreprises, assurant ainsi la gestion et la valorisation de ces actifs.

Par ailleurs, le Comité national pour la récupération des fonds à l'étranger a été initialement créé, puis dissous en 2015, avant d'être remplacé, en 2020, par un comité spécial, placé sous l'égide de la présidence, soulignant l'importance politique de cette mission.


Enfin, le Comité national de gestion des biens confisqués a été institué pour encadrer l'administration et la cessions des actifs saisis, garantissant ainsi une gestion rigoureuse et transparente de ces biens. L'ensemble de ces structures témoigne de la volonté des autorités tunisiennes de récupérer les biens mal acquis et de les réintégrer dans le patrimoine national.

Des résultats mitigés



Les efforts déployés pour récupérer les biens mal acquis ont connu un succès mitigé. Jusqu'à fin 2020, un nombre significatif d'entreprises (107) et de biens immobiliers (663) ont été confisqués, dont le groupe Al Karama Holding. 

La cession de participations de l'État a généré des revenus substantiels (2,26 milliards de dinars). Cependant, la récupération des fonds détournés à l'étranger reste un défi majeur. Seulement 28,8 millions de dollars ont été rapatriés, un montant dérisoire comparé aux estimations de 20 à 23 milliards de dollars placés dans divers pays, notamment en Suisse, en France, au Canada et au Luxembourg. Ce bilan met en évidence la complexité de la récupération des avoirs illégaux et la nécessité de renforcer la coopération internationale pour obtenir des résultats plus satisfaisants.

 

Soupçons de corruption et une gestion défaillante

 

La gestion des biens confisqués a révélé de nombreuses lacunes qui ont contribué à l'échec des objectifs du système.



Outre le fait de ne pas avoir recouvré une part importante des avoirs escomptés dans les lois de finances, au titre des confiscations, les différentes mesures prises n'ont pas toujours permis d'atteindre l'objectif de restituer à l'État les biens acquis illégalement et, par conséquent, de satisfaire aux exigences de la comptabilité et de la lutte contre la corruption.

La gestion des biens confisqués en Tunisie a été entachée par de nombreuses irrégularités. Des dysfonctionnements ont, d'ailleurs, été constatés, dès la phase de confiscation, avec des biens immobiliers et des parts de sociétés qui n'ont pas été saisis. L'opacité et l'inefficacité ont, également, marqué les cessions de ces biens, certains ayant été cédés à des prix bien en-deça de leur valeur réelle. 

Le gaspillage des ressources constitue un autre problème majeur et les retards dans l'affectation des biens ont entraîné des coûts considérables pour l'État, entre autres pour leur entretien; ce qui avait le cas du palais de Sidi Dhrif.

Enfin, des suspicions de corruption pèsent sur d'anciens dirigeants du Comité de gestion et de la société Al Karama Holding, qui font l'objet d'enquêtes judiciaires. L'ensemble de ces éléments met en lumière les graves lacunes qui ont entravé la gestion efficace et transparente des biens confisqués.
 

 

Vers une nouvelle approche ?

La décision de Kais Saïred de relancer ce dossier marque une volonté de rupture avec les pratiques antérieures. La nomination d'une nouvelle ministre des Finances pourrait annoncer une refonte du système de gestion des biens confisqués. Reste à voir si cette dynamique aboutira enfin à des résultats concrets pour l'État et pour le peuple tunisien.